« Qui veut être mon associé ? » : même les entrepreneurs recalés tirent profit de l’émission

Les amateurs de ce programme dédié à l’entrepreneuriat se souviennent sans doute d’Ariane Baujard-Dixon, cofondatrice de Liv Happy Food, et de ses pâtes au konjac et à l’avoine. Venue tout sourire pour tenter de lever de l’argent auprès des investisseurs présents (c’est tout le concept de ce feuilleton), Ariane avait convaincu avec la qualité de son produit, mais n’avait pas réussi à décrocher la somme recherchée. Elle repart bredouille devant les caméras… Enfin, bredouille, vraiment ?

« Le soir où l’émission a été diffusée, nous avons halluciné. Nous avions une petite sonnerie sur nos téléphones à chaque commande, et ils n’arrêtaient pas de sonner ! Il a fallu les éteindre. Nous avons reçu 4 à 5.000 commandes dans la foulée », se souvient Stéphanie Veyrier, cofondatrice de la jeune marque.

« Pour vous donner une idée, dans l’entrepôt qui traitait nos commandes BtoC, une camionnette suffisait avant pour gérer nos commandes quotidiennes. Après l’émission, on avait besoin d’au moins deux gros camions », ajoute Ariane Baujard-Dixon. Le résultat est sans appel : de 900.000 euros de chiffre d’affaires, les deux entrepreneuses sont passées à plus de 1,5 million. « Une chouette tornade », résument-elles, confiant qu’elles n’ont « même pas eu le temps d’être déçues ».

Entrepreneurs et business angels

Depuis janvier 2020, tous les ans en début d’année, ce programme d’un genre nouveau en France propose à des entrepreneurs de venir pitcher devant un jury composé de cinq investisseurs, plus ou moins connus du grand public. S’ils sont convaincus, les jurés deviennent business angels et investissent à titre personnel dans le projet. Parmi eux, des noms célèbres dans le milieu start-up : Marc Simoncini (fondateur de Meetic), Frédéric Mazzella (BlaBlaCar) , Eric Larchevêque (Ledger),Anthony Bourbon (Feed) , Sophie Méchaly (Paul & Joe), Delphine André (Groupe Charles André)…

À chaque émission diffusée, le grand public découvre les entrepreneurs présentés. Qu’ils réussissent ou non à lever de l’argent, ce coup de projecteur, devant plus d’un million de téléspectateurs chaque semaine (et même 1,89 million pour le lancement de la saison 3 début janvier), suffit souvent à propulser ceux qui y participent.

Succès immédiat

Cette lumière est telle qu’elle fait régulièrement tomber les sites des jeunes boîtes se présentant devant le jury ! La plupart des entrepreneurs diffusés l’ont remarqué. « Techniquement, nous avons frôlé le craquage, mais le site a tenu bon, malgré plus de 30.000 connexions, contrairement à d’autres participants. On n’a pas levé ce soir-là, mais je ne l’ai pas du tout vécu comme un échec. Rien que le fait d’être diffusé était déjà énorme », se souvient Guillaume Lieutier, fondateur de la Boulisterie, entreprise qui propose des terrains de pétanque éphémères. L’entrepreneur confie, signe du succès, avoir été reconnu dès le lendemain de la diffusion par son voisin.

Au final, la Boulisterie n’a pas levé de fonds. Pas besoin, grâce au succès rencontré à la suite de l’émission. « Je me suis même demandé si ce n’était pas mieux ainsi, car nous avons reçu un regard vraiment bienveillant de la part de nos interlocuteurs, notamment en BtoB », relativise Guillaume Lieutier, qui a depuis développé une collection avec le géant Jack & Jones, intégré ses produits dans plus de 300 boutiques, et ouvert ses propres concept-stores, et même un bar, le tout inspiré par l’univers de la pétanque. Au total, il est passé avant-Covid d’environ un million d’euros de CA à près de 2,5 aujourd’hui.

Les professionnels, eux aussi, regardent

C’est en effet un avantage pour les entrepreneurs : le programme est certes regardé par le grand public, mais aussi par des professionnels. Juliette Babelot, fondatrice de Capuche Paris, s’en est rendu compte dès le lendemain de la diffusion. : « J’ai reçu un coup de fil de la responsable de style du Bon Marché ! Elle avait un déplacement ce matin-là avec cinq filles de l’équipe, et elles parlaient justement de moi et de mon passage sur M6. Le fait d’entrer au Bon Marché a été décisif, c’est un vrai prescripteur de tendances, de nombreuses boutiques indépendantes s’en inspirent, cela m’a offert une belle crédibilité ! » Les Galeries Lafayette et la Samaritaine ont suivi. Une jolie réussite pour ses capuches de pluie made in France, fabriquées dans un Esat (Etablissement et service d’aide par le travail).

Liv Happy Food, de même, a décroché des contrats dans la foulée de la diffusion, passant ainsi de 500 à 1.500 points de vente. « Cela nous a servi de jolie carte de visite, face aux enseignes de grande distribution avec qui nous n’étions pas encore en lien », confirme Stéphanie Veyrier. Ses pâtes de konjac sont désormais vendues chez Monoprix et Carrefour, nouveauté depuis le passage de la jeune pousse.

Des conseils utiles pour la suite

Au-delà de la notoriété, pour un jeune entrepreneur, se retrouver face à des professionnels aguerris peut se révéler bien utile. Juliette Babelot nous confie ainsi qu’un conseil de Frédéric Mazzella lors de son passage lui a été précieux. Le fondateur de Blablacar lui suggère en effet de changer de nom, puisqu’à l’époque, la société s’appelle encore « Capuches à Mémé ». « C’était déjà une réflexion en cours, mais le fait qu’il me dise que ce nom n’était pas du tout international, bien qu’amusant, m’a mis le pied à l’étrier. Nous avons finalement changé six mois après la diffusion », se souvient Juliette Babelot, qui vend désormais aussi ses produits dans des lieux culturels, notamment des musées, grâce à ses étiquettes revendiquant sa provenance parisienne.

Cet aspect tourné vers l’échange été apprécié de même par Kevin Rodrigues Bastos, cofondateur de Ça Roule Raoul, jeune pousse proposant d’accompagner les particuliers dans leur achat de véhicules d’occasion. « Sur le business model, nous avons pris des critiques, mais c’était très intéressant. Cela nous a aussi permis de nous remettre en question et d’avoir davantage une vision de chef d’entreprise. Nous avons écouté les conseils des investisseurs et réussi à pivoter », souligne-t-il. Tant pis pour la levée de fonds, le duo de copains a surtout profité des suggestions de leurs interlocuteurs.

Finir par lever, malgré tout

D’autant que ne pas lever à l’instant T ne signifie pas en être privé pour toujours. Ludovic Vincent, fondateur de Biomède, l’a bien constaté. Depuis son passage dans « Qui veut être mon associé ? », sa start-up engagée, qui vise à dépolluer et régénérer les sols grâce au phénomène de phytoextraction, a réussi à lever un million d’euros !

« Je n’avais jamais eu d’expérience de ce type, c’est difficile quand on a une nature timide. Or, c’était une bonne opportunité, qui nous a offert une réelle accélération dans nos projets et notre développement », confirme le CEO, qui vient par ailleurs de signer un partenariat avec l’Agence spatiale européenne. Objectif : diagnostiquer les sols pollués grâce à des images satellites. La preuve, comme le dit le dicton, que l’on ne perd jamais, on apprend toujours…